les aventures de DJ Roodoo et les putes

J’aurais pu vous parler de l’après-midi Body & Soul à la piscine du Rhône à Lyon, le 8 mai. Vous dire que c’était un pur moment de magie, comme on en vit un tous les dix ans quand on aime la house, que les deejays, François K, Joe Claussel et Danny Krivit étaient dans une forme olympique, qu’ils ont, en communion avec les danseurs, su créer une vibe joyeuse, profonde et spirituelle qui a mis le smile à tout le monde, vous dire que moi même, alors que je n’avais en tout et pour tout bu que trois verres de rosé, j’étais allumé comme si j’avais avalé je ne sais trop quoi tellement le décor, le soleil, l’ambiance et la qualité de la musique m’ont transportés…huit heures d’affilées, que j’ai dansé ! à 33 ans et bientôt 15 ans de teufs au compteur, j’avoue que j’en tire une fierté bien légitime, surtout quand je pense à la gueule des malheureux teckto-niqués croisés plus tard au Ninkasi Kao pour la soirée Destructuré du collectif Elektro-System. Ces mômes de même pas 20 ans, totalement obnubilés par leurs looks grotesques, incapables de sourire, incapable même de gérer un tant soit peu les cochonneries qu’ils consomment, et même pas foutus de nous faire une petite démo de « danse electro » (lol), ça m’a limite fait froid dans le dos. Et là encore, il n’y avait que quelques vieux briscards à s’agiter sur le floor…

J’aurais pu vous raconter tout ça mais non, après tout vous n’aviez qu’à y être. A la place je m’en vais vous faire un petit report de la soirée où j’ai mixé hier à Lyon. Soirée organisée par un collectif de djeun’s débutant dans l’évènementiel, et qui à mon avis vont le rester un moment, débutants…La soirée s’articule autour d’un concept auquel je n’ai rien compris, du style Bonnie and Clyde vs Starsky et Hutch, enfin bref les participants à la soirée reçoivent à l’entrée un billet qui leur explique que s’ils sont Dolce, ils doivent retrouver Gabbana, et je suppose conclure avec, mais que se passe-t-il si Milou est un tromblon et que Tintin préfère niquer Grosminet ? Enfin bref, moi je m’en fous, je suis le DJ, tout ce qu’on me demande c’est de passer « Bonnie & Clyde » à 1h30 pour qu’à ce moment là Roméo et Juliette gagnent un shooter de vodka tagada qu’ils fileront ensuite gerber dans les chiottes, si du moins Pim, Pam et Poum ne sont pas en train d’y partouzer allègrement.

D’emblée ça s’annonce rude, la patronne du club, une quinquagénaire exquise, maquillée à la truelle, et qui a dû exercer bien des vieux métiers avant de finir là, nous accueille avec la courtoisie d’un pitbull dérangé pendant la sieste. Le temps d’expliquer que non, moi ses platines CD je m’en fous, que j’ai un excellent logiciel de mix mais que par contre il va falloir débrancher quelques câbles pour que je m’installe (« quoi mais il va foutre la merde dans la cabine DJ en plus ?! »), et hop, je monte mon système et je commence mon set, découvrant au passage une installation son pour le moins rudimentaire. Autant dire que pour avoir des retours, je vais pouvoir me gratter. Il ne se passe pas cinq minutes avant que la taulière fasse une première irruption pour me signaler que j’ai débranché le lecteur DVD qui diffuse sur écran géant des images de grosses teupus se déhanchant furieusement sur les dancefloors d’Ibiza. Le temps de retrouver le câble et de remettre le bouza en route et hop, mon disque dur, lui, se déconnecte. C’est une sensation affreuse, vous savez. Parce que le mac affiche alors : « retrait de périphérique », et vous devinez qu’il n’y a rien que vous puissiez faire pour empêcher que soudain un effroyable « DADADADADADADADADADADA » se mette à sortir de votre mixette. Mais ça prend quelques secondes, à cause de la mémoire tampon, donc durant cette horrible éternité vous attendez que votre mix se casse la gueule, comme le pilote d’un Boeing qui viendrait de perdre un moteur. Bref, heureusement ce cataclysme se produit alors qu’il n’y a pas encore grand monde dans le club.

La première partie de mon set est plutôt chicago house ascendant techno, et je me dis que pour un début de soirée je cogne peut-être un peu trop. Enfin, c’est pas grave, la boîte est toujours aussi vide que l’encéphale de Lorie, ce qui commence d’ailleurs à inquiéter les orgas, qui se demandent sans doute avec qui il vont pouvoir caser Pif le chien. Là, un peu de monde arrive, mais ce sont plutôt des habitués de la boîte, pas particulièrement excités par le concept, pas plus d’ailleurs que par la minimale aux basses lourdes et funky que je distille. C’était pourtant la meilleure partie de mon set, tas de béotiens ! Evidemment, il ne se passe pas vingt minutes avant que le DJ résident, qui depuis le début de la soirée me surveille discrètement, vienne me trouver dans la cabine, pour savoir si je n’ai pas « quelque chose de plus connu, genre commercial tu vois ». Je sens bien que d’ici peu, ça va être la guerre. Les orgas ne tardent pas à venir me demander si je n’ai pas de la dance…Là, un peu acerbe je leur rappelle qu’il m’ont booké après m’avoir entendu sur un set techno, et qu’il est peut-être un peu tard pour s’apercevoir qu’ils se sont trompés de DJ.

Entre temps, j’ai commencé à comprendre la nature exacte du club où je me trouve. Il faut préciser qu’il est situé derrière la gare de Perrache, je n’aurai donc pas besoin de faire un dessin aux lyonnais qui me lisent. Bref, de jeunes et ravissantes créatures, très légèrement vêtues (la jupe se porte très courte cette année vers Perrache, vraiment très courte, à mi-dos…) commencent à investir les lieux, en compagnie de leurs employeurs. Et l’une d’entre elles vient promptement exiger que je mette je ne sais quel tube de r’n’b dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Pas démontée par mon refus, elle s’en va trouver le videur de la boîte, qui me tend un cd en insistant pour que je « joue ça tout de suite. Tu vois, les meufs là, c’est des putes, elles aiment bien danser sur ce morceau. Alors tu le mets ».

Là, je dois avouer que j’ai légèrement perdu mon sang froid. J’ai éteint mon système, j’ai plié mon ordi (oserai-je dire : « mon mac  » ?) et j’ai répondu au gars : « bon, là ça commence à bien me casser les couilles, moi je suis pas payé pour jouer ta merde alors maintenant tu vois avec les orgas, vous vous démerdez mais moi j’arrête ». Il s’en est suivi un esclandre assez considérable impliquant la patronne, le videur, le DJ résident, les organisateurs de la soirée, quelques clients et autres professionnelles, mon amie Chloé (j’en profite pour m’excuser platement de l’avoir traînée dans cette galère) et moi même. Débat houleux au terme duquel il fut décidé que la suite de la soirée serait dance et r’n’b, que le videur et le résident assureraient la relève aux platines, que je toucherais tout de même mon cachet (non mais, y’a pas moyen !) et que je plierais mes petites affaires et m’en retournerais chez moi. A mon grand soulagement, je dois bien l’admettre. Au moment de partir, je suis quand même allé me rabibocher avec l’équipe du club, et nous sommes bien tombés d’accord pour reconnaître qu’il y avait manifestement eu une erreur de programmation dont je n’étais pas responsable, et que les jeunes organisateurs de la soirée (forts sympathiques au demeurant) avaient géré leur affaire comme des manches. Alors que je quittais la salle, David Guetta explosait le sound system et de très jeunes prostituées africaines gaulées comme des mannequins se frottaient lascivement à des tubes chromés au milieu du dancefloor. Je me suis dit que la vraie soirée venait juste de commencer, et que bon, DJ techno ou pas, la prochaine fois que je jouerais en boîte, j’amènerais du r’n’b. Et un peu de dance aussi.
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