Karine

J’avais treize ans. Romain en avait quatorze. Mes parents étaient partis pour la journée je n’sais où, emmenant mes frères et sœurs. Ils m’avaient confiés la maison. Entre Romain et moi, c’était une vieille histoire d’amour, avec tout son lot de vacheries, de rivalité et de bons moments. On se connaissait depuis longtemps déjà. Il habitait le bled d’à côté avec son père et sa mère. Ils avaient débarqué de la capitale des années plus tôt, et n’avaient jamais vraiment été acceptés par les pèquenots du coin. Plutôt originaux, les rumeurs les plus folles couraient à leur sujet : on racontait qu’ils se droguaient, que c’était des feignants, des snobs, brefs ils dépareillaient dans la région et la mentalité locale ne leur faisait pas de cadeaux. Fils unique, Romain était un rêveur solitaire. Mes propres parents ne l’aimaient pas, trouvant évidement qu’il avait une mauvaise influence sur moi. Mais je m’en fichais, c’était mon pote. Il était également la tête de turc du collège et il était détesté aussi bien par les élèves que par les professeurs. J’étais une des rares personne qui l’acceptait et qui l’aimait, et nous étions devenus tout naturellement très liés, nous protégeant mutuellement de la haine venimeuse de nos congénères en nous enfermant dans notre monde imaginaire. Pour ma part, je n’étais pas tout à fait logé à la même enseigne que Romain. C’était un cancre et un parigot. J’étais bon élève et bien que n’étant pas natif du coin, ma famille l’était en partie. Je faisais partie du club de foot et de toute façon j’avais plus de facilité que lui pour me faire accepter, même si j’étais aussi un original. Il n’était pas rare, doux euphémisme, qu’il se bagarre à la sortie, se prenant généralement des raclées par les plus grands. Qui a dit que l’enfance était belle et tendre ? La plupart des enfants que j’ai connu étaient des charognards, déjà aussi cons que leurs parents. Ne s’attaquant qu’aux plus faibles, d’une bêtise crasse, méchants, intolérants et cruels, se rassemblant en meute autour du plus fort, pour mieux déverser leur fiel sur les "autres", ceux qui ont la chance d’être différent et de sortir du troupeau. Il fallait le voir courir après le car presque tous les matins, l’employé municipal qui servait de chauffeur y prenant un plaisir sadique, avec ses bottes en caoutchouc rouge, son vieux pantalon en velours et sa veste de pépé. Il détestait l’école et était toujours en retards. Sa course effrénée manquait de le faire rendre son petit déjeuner, avalé en quatrième vitesse et j’évitais souvent son haleine au relent de vomi.
J’étais donc seul cet après-midi là. Il faisait beau. On devait être au début de l’été. Romain a débarqué avec Christophe, un autre pote. On savait pas quoi faire alors je suis allé chercher les pornos de mon père et on a commencé à les mater. Au bout d’un moment on en pouvait plus, on était excité comme des puces et l’un d’entre nous a eu une idée :
« Hé, si on allait voir Karine ! »
« Ouais, putain, on va voir Karine ! »
J’ai fermé le garage, on a enfourché nos vélos et on est partis dare-dare vers le patelin où elle habitait, à quelques kilomètres de là.
Karine avait mon âge. C’était la jumelle d’un autre pote, Dimitri, et ils étaient encore plus méprisés par les gens que Romain. Leur mère était sourde et muette, et leur père absent. Ils étaient complètement livrés à eux-mêmes. Dimitri était très perturbé et faisait conneries sur conneries, volant un coup la mobylette du facteur, faisant brûler une autre fois la grange du voisin ou jetant des batteries volées aux paysans dans le ruisseau. Il n’était pas rare de voir les flics débarquer chez eux. Je me souviens d’une fois, à l’école primaire, où il avait gardé la marque cinglante de la main de son père sur le visage pendant une semaine, parce qu’il avait scié tous les arbres de la maison qu’ils louaient. Bien que plus sage, la mauvaise réputation de son frère rejaillissait sur Karine. Elle était belle, bien qu’absolument pas mise en valeur, à la différence des pétasse pomponnées du collège qui la prenait de haut.
On est arrivé devant leur baraque et on a sonné. C’est Karine qui a ouvert. Comme d’habitude, leur père devait être à la pêche, ils étaient seuls dans la maison.
« Salut, tu viens faire un tour avec nous ? »
Elle nous a jaugée un moment de ses beaux yeux bruns au léger strabisme convergent, semblant hésiter, habituée qu’elle était à se faire prendre pour une conne.
« D’accord. »
Elle était vêtue d’un vieux jogging crasseux vert et jaune, ses cheveux étaient sales et elle reniflait sans arrêt.
Dimitri a débarqué :
« Je viens avec vous ! »
On est parti à la recherche d’un coin tranquille et on a fini sous un pont, où un maigre ruisseau gazouillait.
Je me suis assis par terre et je l’ai invitée à me rejoindre. Elle s’est exécutée, toujours méfiante. Romain s’est assis de l’autre côté de sorte qu’elle s’est retrouvée entre nous deux. Dimitri et Christophe sont restés sur leur vélo. Je ne sais plus de quoi nous avons parlé, sûrement de sexe. Elle regardait devant elle et s’essuyait constamment la morve qui lui coulait du nez d’un revers de main. Dimitri nous racontait comment son père la traitait de pétasse ou de putain. J’ai passé mon bras autour de son cou, attendu un moment et j’ai glissé ma main libre sous la veste de son jogging. Elle ne portait rien en dessous. Ses seins étaient doux et fermes, déjà gros pour son âge. Romain a fait comme moi. Elle ne disait rien, continuant à fixer le ruisseau et à renifler. On a continué à lui caresser les nibards un moment. On aurait dit deux grosses pêches. Ses tétons étaient durs. C’était bon. Dimitri et Christophe profitaient du spectacle.
Ni tenant plus, j’ai sorti ma queue de mon pantalon. J’ai une grosse bite. C’est de là que me viens mon surnom. Pas très longue, mais large. Je tirais à fond sur la base pour qu’elle ai l’air encore plus grosse, écrasant les poils pour gagner quelques centimètres. Elle la regardait, fascinée.
« Touche-la ! »
« Non ! »
Elle ne pouvait en détourner les yeux.
« Touche-la, tu verras, c’est doux et chaud. »
Elle n’osait pas mais je voyais bien qu’elle hésitait.
J’essayais de prendre sa main pour la poser dessus, mais elle ne se laissa pas faire. Romain, à qui la situation échappait, a fait, amer :
« Ha, il en est fier. »
Dimitri et Christophe n’en perdaient pas une miette, l’œil lubrique.
L’heure tournait et je savais qu’il fallait que je sois à la maison au retour de mes parents, plutôt sévères. J’essayais encore mais elle tint bon sous mes assauts. Il était presque sept heures, l’heure du repas et j’avais une bonne demi-heure de côte pour rentrer chez moi. Je me suis résolu à partir, profondément frustré. Christophe est rentré avec moi. Je pédalais rageusement, me disant qu’on verrait bien la prochaine fois. Quand je suis arrivé, persuadé de me faire engueuler, j’ai trouvé la porte fermée. Putain, j’aurais pu rester encore. Je me suis masturbé plusieurs fois et j’ai fini par entendre la voiture arriver. J’étais dans ma chambre lorsque le téléphone a sonné. Mon père m’a appelé :
« C’est Romain ! »
Je suis descendu et j’ai pris le combiné.
« Allo ? »
« Je l’ai emmenée dans une grange, je l’ai foutue à poil. Quand j’ai enlevé son slip y avait une trace de pneu. Putain dégueulasse… »
Il parlait vite, maintenant c’était à moi que la situation échappait.
« Je lui ai mis un doigt dans la chatte mais elle a hurlé. Elle m’a branlé un peu mais j’étais trop dégoûté par la trace de pneu… »
Je n’osais pas trop parler, mes parents pouvaient m’entendre.
« Bon, on se voit demain de toute façon… »
« Attends, elle m’a dit qu’elle voudrait bien essayer avec toi. Elle savait pas qu’on pouvait en avoir une aussi grosse à notre âge. »
«  Ok, à demain ? »
« Ok salut »
Effectivement, le lendemain, après avoir failli rater le car, Romain me raconta au moins cent fois toute l’histoire, avec force détails. Il y avait également Karine, Dimitri et Christophe. Je fût surpris de constater que Romain et Karine s’ignoraient superbement. Chacun dans leur coin, ils ne s’échangeaient même pas un regard.
La semaine passa, inexorable.
Chaque année au début de l’été, le comité des fêtes organisait une grande marche, et on avait décidé, Rom’s et moi, de tenter les trente kilomètres. C’était une de ces journées splendides du mois de Juin. Le ciel était radieux. Le parcours traversait les montagnes boisées et les prés à vaches. L’air piquant du matin chassait les dernières brumes du sommeil de la nuit. On est parti rapidement. Les cols s’enchaînaient, laissant la place aux vallées verdoyantes. On marchait, on marchait. La tiédeur du matin faisait place à la chaleur écrasante du Grand Midi, et on apreciait  l’ombre des bois de pins sylvestres. Alors qu’on attaquait une côte caillouteuse, on est tombés sur Karine au détour d’un bosquet. Elle était avec une copine. Elles avaient dû partir de plus loin et on les avait rattrapé. On les a dépassé et Romain a attaqué :
« Tiens voilà l’autre grosse pute ! »
Elle se taisait.
« Espèce de salope ! T’as vu comment t’es fringuée ? J’parie que t’as toujours pas pris une douche ni changé de culotte. Attention v’là les mouches ! »
Il tapait juste, là où ça faisait mal. Elle continuait à se taire et à marcher, fixant le sol d’un air farouche. Moi je ricanais bêtement, trop lâche et trop stupide pour intervenir. Elle ne dit rien pour se défendre. Fermée comme une huître, elle subissait le supplice, stoïque. Ce fut sa copine qui explosa :
« Dis donc, connard, tu t’es regardé ? Laisse la tranquille, pauvre con ! »
« J’te parle pas à toi, connasse, allez viens Nico, on se casse, ça pue trop ici… »
Il a pressé le pas et j’ai suivi mon pote. Il continuait de vitupérer, aigri, tandis qu’on les laissait derrière nous. Moi je ne comprenais pas la situation. Nous atteignîmes finalement le point d’arrivée, rompus.
J’ai aujourd’hui trente-deux ans, et quand je repense à cet épisode peu glorieux de ma vie, j’ai honte. Mais je comprends mieux : quand on a l’habitude d’être la victime, ça fait du bien d’être un peu le bourreau…
Aujourd’hui Romain est toujours mon pote. Karine a épousé un grand chef d’entreprise parisien, j’espère qu’elle est heureuse ; et moi j’essaye toujours de devenir un grand écrivain…
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